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Barrières à l’égalité de genre dans l’architecture financière internationale

Bhumika Muchhala.

Cette étude aborde brièvement deux aspects de l’architecture économique et financière internationale qui font obstacle à la réalisation des objectifs de développement et de l’égalité de genre, notamment le cadre politique d’austérité macroéconomique adopté par le Fonds monétaire international, ainsi que la tendance à la libéralisation financière et la volatilité des courants de capitaux et des problèmes qui en résultent. La concentration exclusive de l’architecture financière internationale sur l’économie monétarisée axée sur les finances et les produits de base ignore les nombreux effets négatifs qu’elle engendre sur les femmes et les filles, car elle est fondée sur des préjugés sexistes fondamentaux. Bhumika Muchhala mentionne trois préjugés sexistes évoqués dans la littérature féministe portant sur l’économie qui compromettent les objectifs de l’égalité de genre et des droits des femmes dans le cadre d’une économie libéralisée et excessivement tributaire du système financier. Ces trois préjugés sont le « préjugé déflationniste », le « préjugé de l’homme soutien de famille » et le « préjugé de la marchandisation ou privatisation ». L’auteure affirme qu’un discours féministe sur le capitalisme mondial remet en question la rigidité des frontières qui séparent les activités productives et reproductives.

Introduction

Ces dernières années, la profonde crise financière et économique qui a frappé l’économie mondiale a également provoqué une remise en question fondamentale des hypothèses et des arrangements prédominants du paradigme financier et économique. Ce modèle est largement basé sur la vision selon laquelle le commerce, l’investissement et la libéralisation financière, les politiques macro-économiques déflationnistes, la privatisation, la flexibilité du marché du travail et une production à vocation exportatrice sont, entre autres objectifs, les conditions optimales pour l’insertion des États-nations dans l’économie mondiale.

Toutefois, tout au long de l’histoire économique moderne, ces objectifs ont à plusieurs reprises provoqué des crises économiques et financières durant les cycles d’expansion et de récession qui ont causé des ravages dans les économies et les sociétés et souvent des dommages à long terme dans divers domaines du développement social et humain. La crise qui a commencé en 2008 a démontré qu’une crise apparue dans les pays développés pouvait avoir des retombées sur les pays en développement, même si ces derniers n’étaient en aucun cas responsables de la crise en question.

Ces répercussions, en particulier l’excessive volatilité des prix des produits de base et des denrées alimentaires, le fléchissement de la demande du marché mondial d’exportations, les problèmes de balance des paiements, l’instabilité des courants de capitaux, les fluctuations des devises et un resserrement brutal des crédits, indiquent que l’architecture financière internationale est structurée d’une façon injuste et dysfonctionnelle vis-à-vis de l’objectif plus vaste du développement.

Il existe certainement une pléiade de problèmes transversaux dans l’architecture économique et financière internationale qui font obstacle à la réalisation des objectifs de développement mais cet article sera essentiellement consacré à deux domaines en particulier. En premier lieu le cadre stratégique macro-économique d’austérité et, en deuxième lieu, la libéralisation financière et la volatilité des courants de capitaux et les problèmes qui en résultent. Ces aspects systémiques de l’architecture financière mondiale constituent des obstacles majeurs non seulement pour le développement économique et social mais aussi pour la réalisation des droits humains et des femmes, pour l’équité en matière de revenu, d’accès, de choix et de genre, ainsi que pour les droits économiques et sociaux.

Une approche fondée sur l’égalité de genre implique une transformation permettant aux politiques sociales équitables du point de vue du genre d’être au cœur même de l’architecture financière et économique internationale. Une approche basée sur la transformation exige d’aller au-delà de l’introduction de politiques sociales pour parvenir à des résultats plus équitables en matière de genre, tout en continuant d’accorder la priorité aux critères de type commercial, à la stabilité des prix et à la privatisation. Elle implique en effet une vision fondée sur le développement humain à l’échelon macro-économique dans laquelle les objectifs de justice sociale sont au cœur de l’élaboration de politiques économiques et financières et où les politiques sont évaluées en termes de leurs résultats finaux dans la réalisation progressive de la justice sociale au sein des sociétés. Selon Elson et Cagatay (2000), « les résultats sociaux voulus tels que la justice distributive, l’équité, la satisfaction des besoins de tous, l’élimination de la pauvreté et de la discrimination, l’inclusion sociale et le développement des capacités humaines deviennent les objectifs ultimes de l’élaboration de politiques, y compris des politiques macro-économiques. »

Çagatay et Ertürk (2004) soulignent que, bien que les politiques associées à la mondialisation financière ne soient pas la source originale des préjugés de genre dans la vie économique, elles tendent pour la plupart à amplifier ces préjugés en exerçant une pression idéologique en faveur d’une réduction du rôle de l’état et de la prestation de services sociaux et une maximisation du rôle des marchés et des sociétés privées dans l’économie de produits de base.

Un discours féministe sur le capitalisme mondial remet en question la rigidité des frontières qui séparent les activités productives et reproductives. Les perspectives féministes contestent en particulier l’hypothèse selon laquelle les activités productives menées sur la base de capitaux à l’échelle mondiale et locale sont de type « économique », alors que les activités reproductives qui impliquent les soins donnés aux plus jeunes et aux plus âgés sont fragmentées, marginales, inconséquentes et, dans une large mesure, « non économiques » (Bergeron, 2001). La frontière qui est souvent tracée entre l’échelle mondiale et l’échelle locale est également remise en question.
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Le paradigme macro-économique du Fonds monétaire international (FMI)

Pour faire face à la crise financière mondiale, le G20 qui regroupe les plus grandes économies du monde a considérablement renforcé le rôle du FMI dans les pays en développement, notamment dans les pays à faible revenu, en triplant la base de ressources du Fonds dont le montant est passé de 250 milliards de dollars américains à 750 milliards en 2009 (G20, 2010). Récemment, en mai 2012, les états membres du G20 se sont à nouveau engagés à apporter plus de 400 milliards de dollars au FMI. La capacité de prêt du FMI à des conditions de faveur aux pays à moindres revenus sera ainsi décuplée en 2014 par rapport au niveau qu’elle avait avant la crise.

Malgré les efforts déployés par le FMI pour réagir à la crise de façon flexible et novatrice, de nombreuses études universitaires et institutionnelles font ressortir que les principaux objectifs du Fonds dans l’octroi de ces crédits de crise sont d’accorder la priorité à la « stabilité macro-économique » moyennant le « resserrement des politiques monétaires et budgétaires ».

Depuis le début de la crise financière en 2008 et des crédits de sauvetage, l’aide financière du FMI a été liée à une série de conditions budgétaires et monétaires telles que :

• la réduction des déficits budgétaires et des niveaux d’inflation ;
• le maintien de réserves internationales (celles-ci ayant atteint des niveaux catastrophiques à la suite du choc commercial provoqué par la crise financière) ;
• la réduction ou la limitation des dépenses publiques (par le gel des salaires du secteur public ainsi que le gel des pensions de retraite, la réduction du salaire minimum, la suppression des subsides aux carburants, au gaz et à l’énergie, un relèvement des tarifs des services publics et des réformes fiscales) ;
• la hausse des taux d’intérêt officiels ou la compression de l’offre monétaire ;
• des mesures visant à éviter une dépréciation de la monnaie ; et
• l’apport de liquidités au secteur financier en cas de besoin.

Plutôt que d’accroître les dépenses publiques et de stimuler la demande intérieure, l’emploi local et l’activité économique pour sortir de la récession, le FMI préfère réduire les dépenses et accroître les tarifs et les impôts dans des économies qui sont déjà à un stade de contraction dans le but explicite de maintenir un faible niveau d’inflation ainsi que des taux réduits de déficit budgétaire, des taux de change flexibles, et une libéralisation commerciale et financière. Le fardeau qu’impliquent ces politiques, dont le but est essentiellement de conserver la confiance des investisseurs ou des marchés financiers mondiaux, retombe directement sur les contribuables et les consommateurs locaux, et en particulier sur les groupes les plus vulnérables de la société, dont les femmes et les travailleurs à faible revenu du secteur informel.

La logique tordue d’austérité cherche en fait à restaurer la confiance des marchés financiers qui sont considérés comme le facteur clé pour parvenir à la reprise économique, même si l’opinion pratiquement unanime est que la crise a été précisément causée par le dysfonctionnements du marché financier et des agences de notation des crédits.

Il est en effet pour le moins surprenant de constater que les responsables politiques font à nouveau confiance aux mêmes institutions et marchés financiers dont le comportement irresponsable a eu de si néfastes conséquences sur les citoyens, les budgets publics et les perspectives de développement. La volonté d’assainir ces mêmes institutions et de suivre les signaux qu’elles émettent pour façonner la politique macro-économique et déterminer les finances publiques démontre que bien peu d’enseignements ont été tirés de cette crise (Seguino, 2011).

L’OCDE (2011) a publié un rapport sur l’inégalité mondiale, intitulé « Toujours plus d’inégalité : pourquoi les écarts de revenus se creusent », illustre combien l’inégalité des revenus a augmenté et s’est aggravée dans de nombreux pays développés et en développement, et comment cette tendance a été alimentée par des politiques telles que la flexibilité de la main-d’œuvre, la privatisation, l’austérité budgétaire et les problèmes qui en résultent en termes d’accès à l’éducation, à la santé et à d’autres droits sociaux et de développement humain.

La direction actuelle du FMI reconnaît également qu’une austérité trop rigoureuse risque de compromettre l’emploi et la croissance ; le rapport présenté au G20 suggère que les pays développés « disposent d’une certaine marge pour ralentir leur rythme actuel de consolidation, dans la mesure où ils s’engagent à appliquer des restrictions additionnelles plus tard » (FMI, 2011a).

Les pays en développement ne font toutefois pas l’objet de la même flexibilité. Les institutions internationales exigent et soutiennent l’application de politiques anticycliques dans les pays développés, tout en continuant à imposer des conditions procycliques dans les crédits de sauvetage accordés aux pays en développement. Sur le long terme, la dégradation en termes de santé, de nutrition et d’éducation tendra à compromettre la croissance, la stabilité macro-économique et les niveaux de productivité que les mesures d’ajustement ont précisément pour objet de soutenir.

Un rapport de l’UNICEF (2011) sur la supervision et les recommandations stratégiques du FMI à 128 pays en développement indique que les mesures d’austérité macro-économique sont généralisées. Soixante-dix pays en développement ont réduit leurs dépenses totales de presque 3 pour cent du PIB en moyenne durant l’année 2010 et 91 pays en développement limiteront leurs dépenses en 2012. Les mesures d’ajustement suivantes, telles qu’elles sont recommandées par le FMI dans le but de résorber les déficits budgétaires et abaisser les niveaux d’inflation, montrent à quel point la marge politique pour l’élaboration de stratégies de développement et de relance est restreinte malgré les effets récessifs de la crise. Ces mesures sont, entre autres : (i) la réduction ou le plafonnement des salaires (dans 56 pays) ; (ii) l’élimination progressive ou totale des subventions, essentiellement sur les carburants, mais aussi sur l’électricité et les denrées alimentaires (dans 56 pays) ; (iii) la réduction des programmes de protection sociale (dans 34 pays) ; (iv) la réforme des régimes de pension (dans 28 pays) ; et (v) un relèvement des taxes à la consommation sur les biens de base (par exemple, les taxes sur la valeur ajoutée) plus généralement consommés par les populations pauvres (dans 53 pays).

Les responsables politiques doivent admettre que les faits historiques démontrent que les mesures d’austérité sont inefficaces pour stimuler la reprise de l’économie dans un contexte de récession économique et de crises financières. Il existe d’autres options stratégiques susceptibles de faciliter la consolidation de stratégies nationales de développement, notamment l’application de politiques macro-économiques expansionnistes, la réaffectation budgétaire en faveur des secteurs sociaux, le réaménagement de la dette, l’imposition de contribuables à revenus plus élevés et du secteur privé (y compris une taxe sur les transactions financières), les transferts monétaires, les transferts Nord-Sud et Sud-Sud, la détection des courants financiers illicites et l’utilisation des réserves en devises étrangères.

Un nouveau cadre macro-économique susceptible d’accorder une certaine marge de manœuvre politique serait axé sur le concept de la politique budgétaire en tant que moteur du processus de développement, sous la forme de politiques budgétaires favorisant l’investissement public et l’emploi. Le FMI, au contraire, ne voit la politique budgétaire qu’en termes de coût du financement du déficit budgétaire sans tenir compte des coûts du ralentissement de la croissance et de la réduction de la pauvreté si un creusement du déficit n’est pas autorisé. Le FMI n’évalue pas non plus de façon dynamique la situation budgétaire des pays à faible revenu sur la base du potentiel de mobilisation de revenus intérieurs additionnels, ou l’établissement de marges de manœuvre accrues sur le plan fiscal moyennant de nouvelles mesures d’allègement de la dette ou l’octroi de subventions supplémentaires.

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Pour parvenir à l’équité et appliquer des politiques budgétaires et monétaires axées sur le développement

S’il est vrai que le Fonds a recommandé et a inclus les dépenses de protection sociale dans la plupart de ses programmes de crédit, la mise en place de systèmes de protection sociale ne doit pas seulement répondre à un besoin de compenser les bouleversements socio-économiques résultant d’un cadre stratégique macro-économique procyclique et déflationniste. En fait, les systèmes de protection sociale devraient constituer le volet complémentaire d’un cadre stratégique qui met l’accent sur l’investissement social et le développement humain, même au détriment d’une hausse des taux d’inflation et des niveaux de déficit, jusqu’à ce que l’infrastructure sociale intérieure soit suffisamment solide en termes de capacités et de ressources (CNUCED, 2010).

Il est indispensable de modifier l’approche fondamentale des politiques du FMI pour que les pays en développement puissent suivre un modèle national de développement qui porte ses fruits. Plusieurs propositions sont avancées :

• Le FMI devrait non seulement autoriser, mais aussi encourager l’utilisation active d’une politique budgétaire appuyant les investissements et les dépenses publics, pour construire des infrastructures économiques et sociales essentielles, dont dépend inévitablement l’investissement privé (Balakrishnan et al., 2011). Les rentes futures escomptées de cet investissement devraient permettre de rembourser les dettes contractées au départ par le gouvernement.
• Le FMI devrait encourager une plus grande diversité dans les options monétaires afin de faciliter l’accès des entreprises et des consommateurs nationaux à un crédit abordable de façon à pouvoir développer la production, l’emploi et des contributions accrues à l’assiette fiscale nationale.
• Le FMI devrait soutenir la gestion des taux de change dans les pays en développement emprunteurs afin de stimuler la compétitivité d’un large éventail d’exportations pouvant conduire à une plus grande diversification de l’économie nationale (Reinert, 2007) ; et
• Le FMI devrait résolument prôner la réglementation du compte de capital pour faire face à la nature souvent volatile des entrées et sorties de capitaux et éviter ainsi la volatilité du taux de change et l’exode de capitaux.
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Libéralisation financière et contrôle des capitaux

Dans le contexte de la lente reprise des pays développés et de la politique d’assouplissement quantitatif de la Réserve fédérale qui a permis de générer des centaines de milliards en liquidités, les investisseurs du monde entier se sont rués en masse vers les pays en développement, en particulier dans les économies de marché émergentes comme le Brésil, la Corée du Sud, Taiwan et l’Indonésie. Toutefois, vers la fin 2011 et en 2012, les capitaux ont délaissé ces mêmes pays émergents, démontrant ainsi le caractère volatil et dangereux de ces courants financiers (Ocampo, 2011). Alors que l’afflux de capitaux était accompagné de pressions déstabilisatrices telles que l’appréciation de la monnaie et la formation de bulles de prix des actifs, les sorties correspondantes de capitaux ont provoqué des dépréciations de la monnaie ainsi que des problèmes de balance des paiements et de remboursement des crédits. Tout ceci a entraîné une contagion financière à l’échelle mondiale, comme ce fut le cas lors de la crise financière asiatique de 1997-1998.

Pour les pays en développement, une manière efficace de se protéger contre une nouvelle crise financière tout en atténuant les déséquilibres mondiaux serait d’établir des contrôles des opérations en capital. La marge de manœuvre politique à l’échelle nationale est considérablement renforcée lorsque les états peuvent imposer certains freins et contrepoids aux mouvements erratiques d’un capital mondial déréglementé.

Des contrôles efficaces peuvent protéger les économies des chocs extérieurs, libérer des capitaux permettant d’effectuer des investissements productifs dans l’économie réelle et subventionner le coût de l’accumulation de devises étrangères Des contrôles sur les opérations en capital appliqués sous la forme d’un impôt sur les entrées de capitaux peuvent contribuer à la création de subventions qui compensent le coût de la constitution de réserves. Une taxe sur les achats à l’étranger d’obligations, d’actions et de produits dérivés permettrait de réduire le montant de réserves requis sur les marchés émergents tout en finançant les coûts de la constitution de réserves résultant des mêmes courants de capitaux qui sont à l’origine des coûts.

Malgré le manque de progrès dans la plupart des domaines, le groupe de travail sur les mouvements de capitaux du G20, co-présidé par l’Allemagne et le Brésil, a émis un rapport intitulé « Conclusions cohérentes, fondées sur l’expérience des différents pays, sur la gestion des flux de capitaux » selon lequel il ne peut y avoir « d’approche uniforme » ni de définition rigide des conditions régissant l’utilisation de mesures de gestion des flux de capitaux ; en outre, allant à l’encontre de la position du FMI selon laquelle les contrôles doivent être une mesure de dernier ressort, le rapport du G20 indique que ce type de mesures ne doit pas être considéré comme de dernier ressort (G20, 2011). Lors du Sommet tenu à Cannes en novembre 2011, l’ancien président français Sarkozy a également affirmé que l’utilisation des contrôles des capitaux est aujourd’hui reconnue comme une mesure de stabilisation, ce qui est très important.1 Mais il faut toutefois remarquer que le G20 n’apporte pas non plus un soutien explicite au contrôle des mouvements de capitaux.

Le FMI affirme en revanche que les contrôles du mouvement de capitaux ne doivent être utilisés qu’après avoir appliqué d’autres mesures telles que la constitution de réserves, la non-intervention sur l’appréciation de la devise et la diminution du déficit budgétaire (FMI, 2011b). Les efforts du FMI pour étendre son mandat à la supervision et l’harmonisation des réglementations sont tout à fait inappropriés car les pays, quels que soient leurs stades de développement, ont besoin d’une marge de manœuvre politique pour élaborer des mesures qui répondent aux conditions spécifiques du pays, ainsi que pour garantir un soutien au système financier intérieur et à l’économie réelle. Le FMI et le Conseil de Stabilité financière devraient au contraire, avec d’autres instances, tenter de réduire la stigmatisation associée aux réglementations du compte des capitaux et renforcer la capacité des pays à les mettre en place.
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Analyse de genre des politiques macro-économiques et financières appliquées dans l’architecture mondiale

La préoccupation exclusive de l’architecture financière internationale vis-à-vis de l’économie monétarisée axée sur les finances et les produits de base ignore les nombreux effets négatifs qu’elle engendre sur les femmes et les filles, et comporte des préjugés de genre fondamentaux.
Les récessions économiques sont accompagnées de pertes d’emplois dans des sociétés au sein desquelles les hommes sont considérés comme les « pourvoyeurs ou soutiens de famille » ; c’est pourquoi les taux de licenciement sont souvent plus élevés chez les femmes. Ce phénomène est exacerbé par la concentration de femmes dans les emplois précaires, qui sont des travaux temporaires, à temps partiel, occasionnels ou sous-traités et qui sont probablement ceux qui vont connaître les plus fortes chutes et fluctuations de revenus, en particulier dans les pays en développement.

Dans la plupart des pays en développement, en l’absence, souvent, de toute autre forme de protection sociale, la famille et les femmes deviennent les pourvoyeurs de dernier ressort. Dans un contexte de perte d’emploi et de réduction des revenus et des services publics, ce sont les femmes qui protègent leur famille des effets néfastes de la crise économique en travaillant davantage, à la fois au sein et en dehors du ménage.

Par exemple, après la crise financière asiatique de 1997 – 1998, la quantité de travail réalisé par les femmes a augmenté à la fois en Indonésie et dans les Philippines, car elles ont agi en tant que pourvoyeurs de dernier ressort. Les enquêtes nationales réalisées dans la foulée de la crise financière asiatique ont révélé que les stratégies d’adaptation des ménages impliquaient une hausse significative de la participation au marché du travail de femmes mariées plus âgées ayant des enfants, ainsi que de la production de biens destinés à la consommation familiale.

Les réductions des programmes sociaux ont un effet direct et négatif sur les femmes et les filles, essentiellement en raison des préjugés de genre existant au sein du ménage. En périodes de détresse économique, il est plus probable que les filles soient, plus souvent que les garçons, retirées de l’école pour prendre soin de leurs plus jeunes frères et sœurs ou d’autres membres de leur famille lorsque leurs mères doivent chercher un travail rémunéré. Même lorsque la famille récupère ses revenus à la suite de la reprise économique, le dommage causé sur le plan éducatif n’est pas facilement réparé et se traduit par des inégalités de genre permanentes et un recul en termes de développement humain et de capacités.

Les coupes budgétaires entraînent une réduction du secteur public dans lequel les possibilités d’emploi des femmes sont plus touchées que celle des hommes, car c’est souvent dans le secteur public que les femmes trouvent un emploi dont les conditions de travail sont plus sûres que dans l’économie informelle. Les programmes de privatisation compromettent les perspectives d’emploi féminin beaucoup plus que pour les hommes et les études menées en Afrique et en Amérique latine ont démontré que la privatisation dans ces régions a surtout porté préjudice aux perspectives professionnelles des femmes (Walby, 2009).

L’économie féministe conteste également l’exclusion de l’économie non rémunérée dans l’élaboration des politiques macro-économiques. L’économie non rémunérée est celle dans laquelle les individus produisent des biens des services pour leur famille, leurs amis et leurs voisins à titre d’obligation sociale, par altruisme et réciprocité. Jain et Elson (2011) estiment qu’il existe deux grandes raisons pour inclure l’économie non rémunérée dans la politique macro-économique : l’importance cruciale de l’économie non rémunérée pour la reproduction sociale et le bien-être humain, et le fait que l’économie non rémunérée a une incidence sur le fonctionnement, la quantité et la qualité de l’économie rémunérée. La main-d’œuvre fournie pour la production dans l’économie rémunérée et les biens requis dans cette production sont déterminés par la nature de l’économie non rémunérée qui constitue en fait le noyau de la structure sociale dans laquelle s’insèrent l’état et le marché.
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Trois préjugés de genre dans le paradigme macro-économique et financier international

Elson et Cagatay (2000) et Elson (2002) définissent trois grands préjugés de genre présents dans une architecture financière internationale caractérisée par une financiarisation et une libéralisation qui compromettent les objectifs de l’égalité des genres et des droits des femmes. Ces trois préjugés sont le « préjugé déflationniste », le « préjugé de l‘homme soutien de famille” et le “ préjugé de la marchandisation ou privatisation ».

Le préjugé déflationniste est évident dans les politiques macro-économiques dont le but est de maintenir des taux d’intérêt élevés, d’appliquer des politiques monétaires rigoureuses et de réaliser des compressions budgétaires. Dans ce contexte de libéralisation financière, les taux d’investissement et de croissance tendent à être volatils car les types de politique macro-économique dont ont besoin les gouvernements pour attirer et retenir les flux de capitaux et les investissements étrangers engendrent une tendance déflationniste dans la politique macro-économique. Il est nécessaire d’éviter le préjugé déflationniste, mais ceci n’est pas suffisant pour assurer l’équité des politiques de genre.

Le préjugé de l’homme pourvoyeur ou soutien de famille se fonde sur l’hypothèse selon laquelle la sphère non commerciale de la reproduction sociale est représentée par l’économie de marché de production de biens de base moyennant la rémunération d’hommes soutiens de famille qui sont ceux qui pourvoient aux besoins de la famille. Le préjugé de l’homme soutien de famille associe le droit aux avantages et services sociaux à la participation au marché du travail, ce qui donne lieu à des rapports de dépendance auxquels sont soumis ceux qui n’ont pas accès aux bénéfices et aux services liés au marché du travail. C’est ainsi que de nombreuses femmes n’ont pas accès aux services et aux bénéfices et dépendent des hommes, en particulier durant les périodes de la vie des femmes où celles-ci participent de façon intense à la prise en charge des enfants et des plus âgés, et lorsqu’elles sont elles-mêmes plus âgées.

Le préjugé de l’homme soutien de famille est caractéristique des approches de politique macro-économique qui sont uniquement ou essentiellement basées sur le plein emploi pour parvenir à certains objectifs sociaux tels que la répartition équitable des revenus et l’élimination de la pauvreté. En effet, les politiques de plein emploi ne tiennent pratiquement pas compte du rapport existant entre les modalités rémunérées et non rémunérées de travail et reposent essentiellement sur le maintien et le soutien du travail rémunéré. Pour assurer l’équité des genres, les politiques de plein emploi doivent être accompagnées de droits sociaux pour tous les travailleurs et travailleuses informels ou à temps partiel ainsi que pour ceux et celles qui fournissent des soins de façon non rémunérée, en tant que citoyens et citoyennes de plein droit.

Le troisième préjugé à éviter est celui de la privatisation et de la marchandisation qui se présente lorsque la fourniture de services publics est considérée moins efficace que celle des services privés en raison de leur caractère incomplet et insatisfaisant, et qui ne tient compte ni du travail non rémunéré ni de la qualité de la fourniture des services. À la suite de quoi, la fourniture de services publics est remplacée par des prestations individualisées, basées sur le marché destinées à ceux qui peuvent les payer, et donc par la création d’une infrastructure, par exemple, de pensions privées, d’assurances-santé privées, de cliniques privées, d’écoles privées, de maisons de retraite privées, de soins rémunérés privés pour les enfants et les personnes âgées, de services publics privatisés qui appliquent les taux du marché à l’énergie et aux transports.

Loin de mettre en commun et de partager les risques et les ressources et permettre des subventions croisées et des arrangements flexibles, la privatisation crée des assurances séparées pour des éventualités spécifiques. Comme dans le cas du préjugé de l’homme soutien de famille, il est fréquent que les femmes soient toujours dans la position de personnes à charge. Le risque assurable lié aux problèmes de santé ou à la vieillesse repose sur des normes masculines de statut professionnel ; et le système privé, tout comme le système public, n’est accessible aux femmes que par l’intermédiaire des hommes de la famille. Les fournisseurs privés imposent aux travailleurs assurés des coûts d’administration plus élevés que dans le système public et les risques sont assumés par l’assuré. Les prestations individuelles, basées sur les marchés donnent lieu à des écarts profonds entre ceux qui peuvent les payer et ceux qui ne peuvent pas le faire.

Le préjugé de la privatisation est une fonction directe d’un cadre macro-économique conçu pour minimiser le rôle des services publics. Minimiser le déficit budgétaire, et réduire au maximum la fiscalité et les dépenses publiques sont deux objectifs contraignants. Il est indispensable, pour adopter une approche évolutive de l’égalité des genres, de tenir pleinement compte de ces trois préjugés fondamentaux de la conception des politiques économiques. Les citoyens du monde entier et la société civile mondiale doivent faire pression sur leurs responsables politiques élus ou nommés, dans les différents ministères des secteurs social et de la finance, ainsi que sur les dirigeants nationaux et les hauts représentants, afin qu’ils trouvent le moyen de résoudre le problème de la marginalisation, et de ses différents aspects, de l’économie non rémunérée et de l’économie de soins au sein des priorités économiques, ainsi que le poids et les risques injustes qui pèsent sur les femmes et les filles. Ce n’est qu’ainsi que les structures économiques pourront réellement inclure le travail social et reproductif de type non rémunéré et informel qui sert de base à l’économie visible (formelle, rémunéré) qui est aujourd’hui l’objectif de la plupart des politiques.
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Notes:

1 Voir http://www.yesicannes.com/yesicannes/G20_president_sarkozy_final_adress.html

Références

1. Balakrishnan, R., Diane Elson, J. Heintz et N. Lusiani (2011) Maximum Available Resources & Human Rights: Analytical Report, juin, New Jersey: Center for Women’s Global Leadership.
2. Bergeron, Suzanne (2001) ‘Political Economy Discourses of Globalization and Feminist Politics’, Signs 26(4).
3. Çagatay, Nilufer et Korkuk Ertürk (2004) ‘Gender and Globalization: A macroeconomic perspective’, Policy Integration Department, World Commission on the Social Dimension of Globalization, Bureau international du travail Genève, mai. Document de travail no. 19.
4. Elson, Diane (2002) ‘International Financial Architecture: A view from the Kitchen’, Politica Femina.
5. Elson, Diane et Nilufer Cagatay (2000) ‘The Social Content of Macroeconomic Policies’, World Development 28(7).
6. Groupe des 20 (G20) (2010) ‘The Global Plan for Recovery and Reform’, Sommet de Londres, Communiqué, 2 avril, http://www.g20.org/Documents/final-communique.pdf, consulté le 1 juin 2012.
7. Groupe des 20 (G20) (2011) ‘G20 Coherent Conclusions for the Management of Capital Flows Drawing on Country Experiences’, 15 octobre, http://www.mofa.go.jp/policy/economy/g20_summit/2011/pdfs/annex05.pdf, consulté le 1 juin 2012.
8. Fonds monétaire international (FMI) (2011a) ‘Global Economic Prospects and Policy Challenges’, 9 –10 juillet, http://www.imf.org/external/np/g20/pdf/070911.pdf, consulté le 2 juin 2012.
9. Fonds monétaire international (FMI) (2011b) ‘Recent Experiences in Managing Capital Inflows – Cross-Cutting Themes and Possible Policy Framework’, Washington, DC, 14 février, http://www.imf.org/external/np/pp/eng/2011/021411a.pdf, consulté le 3 juin 2012.
10. Jain, Devaki et Diane Elson (2011) Harvesting Feminist Knowledge for Public Policy: Rebuilding Progress, New Delhi: Sage Publications et PNUD.
11. Ocampo, José Antonio (2011) ‘The G-20’s Helpful Silence on Capital Controls’, 30 octobre, http://www.project-syndicate.org/commentary/the-g-20-s-helpful-silence-on-capital-controls/french
12. Organisation pour la cooperation et le développement économiques (OCDE) (2011) ‘Toujours plus d’inégalité : Pourquoi les écarts de revenus se creusent’, Paris, 5 décembre, http://www.oecd.org/fr/els/soc/toujoursplusdinegalitepourquoilesecartsderevenussecreusent.htm
13. Reinert, Erik S. (2007) How Rich Countries Got Rich … and Why Poor Countries Stay Poor, London: Constable Press.
14. Seguino, Stephanie (2011) ‘Rebooting1 Is Not an Option Toward Equitable Social and Economic Development’, dans D. Jain et Diane Elson (ed.) Harvesting Feminist Knowledge for Public Policy: Rebuilding Progress, New Delhi: Sage Publications et PNUD.
15. Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) (2010) “Réinscrire les objectifs du Millénaire pour le développement dans les priorités de développement: l’optique de la CNUCED”, Note du Secretariat de la CNUCED, Conseil du commerce et du développement, quarante-neuvième réunion directive, Genève: 8–9 juin, http://unctad.org/fr/docs/tdbex49d3_fr.pdf , consulté le 2 juin 2012.
16. UNICEF (2011) ‘Austerity Measures Threaten Children and Poor Households’, septembre, http://www.unicef.org/socialpolicy/files/Austerity_Measures_Threaten_Children.pdf.
17. (2009) ‘Gender and the Financial Crisis’, UNESCO Project on Gender and the Financial Crisis, 9 avril, http://www.lancs.ac.uk/fass/doc_library/sociology/Gender_and_financial_crisis_Sylvia_Walby.pdf, consulté le 1 juin 2012.

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