« Accès et contrôle des ressources » : de quelles ressources parle-t-on ?

L’accès et le contrôle des ressources sont des revendications partagées aux 4 coins de la planète, qui soulignent la critique du système économique néo-libéral. Cette analyse des rapports sociaux économiques actuels, des rapports de domination et des inégalités qui s’en suivent s’accompagne d’une remise en question de la marchandisation généralisée qui y a lieu (y compris les personnes devenues des marchandises !) ainsi que de l’exploitation avide des différentes ressources. Béatrice Borghino, membre de Genre en Action, partage ses réflexions autour de sujets (trop) peu discutés.
Dans le cadre du 12è Forum international de l’AWID dont la thématique était la « Transformation du pouvoir économique », le système économique libéral, tel qu’il fonctionne partout dans le monde, a été plus que fortement critiqué.
Les sessions approfondies qui avaient pour objet de donner la parole à nombre d’expériences locales où les conséquences de ces orientations de l’économie globale étaient analysées, ont aussi posé une autre question : à côté des ressources que nous avons l’habitude de prendre en considération, n’y en a-t-il pas d’autres, qu’en tant que féministes, nous avons à faire émerger dans le champ de la pensée et à faire prendre en compte ?
C’est par cette entrée particulière que je vais regarder ce qui s’est passé dans ces sessions, au-delà de tous les témoignages si riches qui nous ont été donnés. Merci à toutes ces participantes et à JASS-Just Associates qui les organisaient !
Si, en effet, nous avons parlé en premier de la ressource classique « argent » avec le micro crédit – dont une des conclusions a été : « les micros crédits c’est pour les femmes ; les grosses masses de crédits nationaux et internationaux, c’est pour les hommes » – nous sommes très vite arrivées à une autre ressource que les activistes en genre connaissent bien : le temps, oh combien différemment réparti et occupé selon les sexes ! De même pour la terre – « notre territoire ne sert plus qu’à enrichir des hommes politiques et des entreprises. C’est ça qu’ils appellent ‘modernité’ ! » – l’information, la connaissance, la technologie, etc… , toutes ressources dont nous connaissons l’importance.
Mais ce qui a été très nouveau, en tous les cas pour moi, ça a été la proposition de modifier notre conception des ressources à prendre en compte, et il s’est mis à être question de joie, de bien être, d’énergie et de force, individuelles et collectives, de confiance en soi, d’allègement de la fatigue, de la satisfaction de soi et de ce que l’on fait, de contrecarrer le sentiment d’impuissance des femmes et des pauvres – « on manque de ressources et on manque de confiance en nous mêmes » (une femme de Malaisie), de dignité aussi, ressource si importante, de santé accrue, de sécurité, de droit à l’imagination et au rêve, de « quitter la peur, quitter la culpabilité » ajoutait Lolita Chavez avec une intense détermination ; de solidarité recréée …., tout cela générant un nouveau pouvoir (au sens de « agency »).
L’intervention de Lolita Chavez (Guatemala), particulièrement appréciée, a transmis en acte cette ressource qui s’appelle la force intérieure ! Celle qu’elle incarne et celle qu’elle permet aux autres de retrouver. A ce propos, m’est apparue ces jours-là, l’adéquation beaucoup plus grande dans laquelle semblent être beaucoup de ces femmes indigènes par rapport à un nouveau « développement » à promouvoir : « Une approche plus holistique est à trouver » (une participante) Mais ce serait un autre article….
Pour en revenir à ces autres ressources, dont nous ne parlons pas suffisamment, je me suis dit : « c’est vrai, là aussi, notre façon de penser est influencée par les agences et politiques nationales et internationales ! ». Nous avons à faire valoir aussi autre chose !
De même que ce qui entre dans le calcul du PIB doit être complètement transformé – autrement dit ce qui fait et qui a de la « valeur » ! – nous devons travailler à ce que les « résultats attendus » et les « indicateurs » de mesure demandés aux porteur-e-s de projets, intègrent toutes autres valeurs particulièrement fondamentales pour nous, féministes opposantes à ce système libéral. Un autre système de mesure et d’évaluation doit être élaboré pour apprécier la réussite des projets et actions sur le terrain.
Et je me suis mise à rêver, à imaginer, que les différents collectifs et associations que nous étions, à Istanbul, pour « transformer le pouvoir économique », se mettent d’accord pour commencer à élaborer ce nouveau paradigme, ainsi que des propositions concrètes qui aillent dans ce sens, et à demander un ou des groupes de travail pour voir comment ces nouveaux critères pourraient être construits et mis en application au niveau international ! Je n’ai pas fait qu’imaginer, j’en ai proposé l’idée au moment des réactions de l’assemblée.
Je rêve ? Pourtant je crois vraiment que c’est faisable ! « Décoloniser l’imaginaire » disait quelqu’un et sortir du tout économique qui ne fabrique que de la catastrophe. On le sait clairement maintenant. « Partout dans le monde apparaissent les îlots d’une nouvelle pensée créative qui aspire à une vie sociale et économique plus équilibrée et plus juste. Cette critique du développement bouscule nos certitudes et remet en question la pensée et la pratique économiques de l’Occident »
Béatrice Borghino
Approche intégrée du genre – France/Algérie
Membre de Genre en Action
Béatrice Borghino a fait partie de la délégation internationale francophone Genre en Action à AWID 2012
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